Article transmis par un Ancien du 2e BCCP
Article publié dans la revue "Debout les Paras"
Auteur de l'article : général Jacques ABADIE, ancien Commandant de la 2ème Compagnie du 1er RCP, blessé et fait prisonnier à Dien Bien Phu le 7 mai 1954; Chef de Corps du 61ème BTAP et COMTRANS de la 11ème DP.
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Dans le traitement qu'ils ont réservé aux prisonniers de guerre,les communistes vietnamiens n'ont fait qu'appliquer certaines méthodes mises au point par les communistes chinois. Ils ont été leurs élèves pour ce qui concerne la guerre révolutionnaire (guérilla,subversion,terrorisme....) et ils ont aussi utilisé les techniques de la rééducation appelées vulgairement "lavage de cerveau" , ensemble de procédés qui avaient(qui ont) pour but la "conversion" des prisonniers.
Personne ne niera que le système carcéral nazi a été terrible,sa finalité étant l'élimination physique et la destruction morale des prisonniers.Le système asiatique communiste est tout à fait différent:on meurt dans les camps viets,mais il faut auparavant être en accord avec la ligne du Parti,avec l'idéologie marxiste-leniniste .Il faut mourir "converti":c'est à dire le fanatisme et la prétention de cette idéologie qui veut transformer les hommes,même s'il sont des adversaires.Les irréductibles sont bien sûr liquidés physiquement en application de la procédure des "purges" définies dès 1920 par Lénine lui-même.N'oublions pas que ce dernier est l'inventeur des camps de concentration pour les "déchets sociaux" ou les "opposants" (contre-révolutionnaires).
Tout individu en contradiction avec la dialectique révolutionnaire doit donc être ou converti ou liquidé,parce qu'il est inutile et/ou nocif pour le progrès socialiste international des masses.Mais les actions de chefs de camp viets et de leurs commissaires politiques n'ont pas revêtu la même ampleur ,du fait du niveau inégal de culture et de connaissances marxistes-léninistes des cadres.
S'agissant du "traitement" des prisonniers de guerre,le schéma général était généralement le suivant,à queques variantes près,dues aux hommes ou aux circonstances.
Dans un premier temps était mis en application le premier principe du "lavage de cerveau":chaque semence doit être adaptée à son terrain spécifique.On distinguait en conséquence:
-le camp des officiers supérieurs ou assimilés:
-le camp des officiers subalternes et des sous-officiers supérieurs(adjudants-chefs et adjudants):
-les camps réservés à la troupe(y compris les sergents-chefs et les sergents):
Taux de mortalité dans quelques camps de prisonniers
Ces camps,séparés sur le plan géographique(souvent à plusieurs jours de marche les uns des autres),avaient un encadrement politique correspondant à la pédagogie réservée à chaque catégorie de prisonniers.Cependant certains officiers ont été emprisonnés dans des camps de troupe et leurs souffrance furent d'ailleurs plus dures que dans les camps "homogènes". Dégradés, humiliés,ils ont été livrés en pâture et sujets à la hargne,aux vengeances,aux insultes,en particulier de certains militaires de l'Union Française manipulés par les commissaires qui voulaient en faire des victimes du colonialisme et de l'impérialisme français.
Les prisonniers ne pouvaient saisir le cheminement ou la technique utilisée à leur égard.Le problème n'a pu être cerné et son analyse correctement faite qu'après la libération,grâce au recoupement de témoignages de centaines de prisonniers.Malgré des séquences différentes,on dégage une certaine cohérence dans le déroulement des étapes successives.
I - LA CAPTURE
11-Mise au ban de l'humanité
Ayant combattu contre le camp socialiste(le paradis rouge),les prisonniers étaient regardés comme des ennemis du peuple,des "masses" nuisibles,des éléments à détruire physiquement.Considérés comme des criminels de guerre,ils auraient du être fusillés sur place selon le jugement du peuple.Mais"ils bénificiaient de la clémence de l'Oncle Ho Chi Minh"....à condition de devenir des progressistes et des combattants de la paix.Il s'agissait là de ce que l'on peut qualifier de"système de la création" ou " complexe de mauvaise conscience"qui devait frapper tout bourgeois fasciste ou colonialiste.Etait considéré comme fasciste celui qui n'était pas communiste.Et,si l'on se référait à Lénine,la guerre que menait la France était injuste même si des nationalistes vietnamiens se battaient à ses côtés.Il ne pouvait s'agir que de fantoches,des marionnette de l'impérialisme bourgeois, d'agents de la CIA....
Représentants de l'impérialisme capitaliste et bourgeois,les militaires français constituaient donc des déchets sociaux,des hors la loi.
12-Dégradation
Tous les cadres sont dégradés(galons arrachés),ayant commandé au sein d'une armée fasciste et colonialiste.Ils sont responsables au plus haut degré.Ils ont exploité et profité du courage de leurs hommes dont la responsabilité d'aliénés du prolétariat est minimisée.
Tous les militaires dégradés sont attachés,mains liées dans le dos avec du câble téléphonique , cela même s'ils ont à parcourir des centaines de kilomètres à pied.Si certains ont été détachés,c'était pour assurer leur brancardage mutuel entre blessés.
Enfin,les cadres dégradés sont traduits devant des assemblées de soldats pour y être publiquement accusés(cf.la révolution culturelle en Chine qui correspond au même schéma).
13-Délabrement physique
Un homme malade ou harassé perd la plus grande partie de ses moyens d'autodéfense.Astreints à une marche de plusieurs centaines de kilomètres,exécutée la plupart de temps de nuit,sous les mitraillages ou bombardements de l'aviation française (le général Navarre ayant refusé la neutralisation de la RP41 contre l'échange des blessés en totalité),sans médicaments,les prisonniers arrivent rapidement à un état de délabrement physique extrême,surtout les blessés ,obligés de faire cuire leur riz moisi dans de rares casques lourds:sans sel et sans viande ,la carence en protéines entraîne rapidement une grande faiblesse.La faim,ajoutée à la fatigue est vite source de désespoir et parfois de haine contre les responsables des batailles perdues.
II - LA MISE A PLAT
Le terme au sens propre et au sens figuré qualifie parfaitement cette phase qui succède à la première étape.Autrefois,les couturières dans les familles pauvres démontaient le pardessus du père ou du grand-père pour y tailler un costume neuf pour l'enfant ou le petit fils.Pour cela,avant de tailler,elles "mettaient à plat"le premier vêtement en le décousant.Le commissaire politique va démonter le psychisme du prisonnier :par la propagande il va détruire toutes les défenses ou appuis psychologiques.Il va utiliser le délabrement physique car la matière malade réagit différemment que lorsqu'elle est intacte:Les grands malades sont atteints d'infantilisme et par là davantage perméables aux "signaux" aux réflexes conditionnés.
Au délabrement physique s'ajoute la coupure totale avec le monde extérieur.Le prisonnier n'a aucun secours moral,il est maintenu dans le vide.On lui répète qu'il est abandonné par sa patrie ,par les siens.Le courrier des familles est renvoyé,le viet minh considérant la Croix Rouge comme une structure d'espionnage impérialiste.La Croix Rouge n'est pas reconnue par les viets,(ni par les fanatiques de l'Islam d'ailleurs;le mot Croix,chrétien pour eux,est à proscrire,alors que l'emblème de la Croix Rouge est le drapeau suisse à l'envers!Face à la Croix Rouge nous avons le Croissant Rouge,etc....distinguo dû au fanatisme religieux ou politique).
La sueur des prolétaires devait revenir aux prolétaires viets (solidarité due à la conscience de classe).
Placés dans cette misère morale et physique ,certains prisonniers responsables ont été souvent victimes de ce que l'on appelle l'IMPRECATION ou comme le signale PASCALINI,(dix ans prisonnier chez Mao) l'EPREUVE.
Le prisonnier mis au ban de l'humanité,criminel de guerre,est livré à l'imprécation des paysans, des soldats(insultes,crachats,griffures,coups....),cela souvent pendant des heures.S'il ne s'agit pas là d'une torture au sens moderne du mot,c'est une épreuve très dure à supporter.On en sort brisé,au bord de la mauvaise conscience,avec un sentiment de honte et de culpabilité.
Pour ma part,abandonné sur la route parce que blessé aux jambes,j'ai vécu cette épreuve attaché sur une jeep,déplacé de village thaï en village thaï,parce que j'avais été officier de renseignement et officier de transmissions.Ces deux missions,ainsi que celle d'aumônier,bénéficiaient d'un "régime de faveur"(si l'on peur dire!),chez les viets.Cette fixation de la haine collective ,attisée par des slogans,les imprécations des politiques contre un seul homme,exposé,attaché,reste pour moi l'une des épreuves les plus dures que j'ai subies.C'est l'excitation de la populace contre le bouc émissaire incarnant le colonialisme et l'impérialisme.Ce sapement du moral et de la santé,grâce à l'absence de médicaments et à la fatigue ajoutée à une faim permanente,va créer un homme à plat,doutant de tout,isolé,mûr pour capter tous les signaux de la propagande permanente.
III - LA CONVERSION
La conversion a pour but du lutter ,contre le vieil homme(bourgeois impérialiste et colonialiste) afin de chercher à créer un" homme nouveau"(progressiste socialiste). Après avoir imposé la malléabilité nécessaire(morale et physique),les commissaires politiques vont entamer l'endoctrinement.On les a appelés les "Ingénieurs des Âmes". Il est exacte qu'après l'installation de la culpabilisation,ils font appel à une dialectique qui parait rudimentaire simpliste,mais qui,accompagné de privation de nourriture ou du manque de médicaments,a de redoutables résultats sur les esprits déficients.
Bien sûr,les prisonniers vont jouer une sinistre comédie s'adaptant aux exigences de la dialectique progressiste,mais la subtilité,la lenteur,la répétition des slogans vont confirmer certains résultats de la méthode de PAVLOV.Tout cela sur un fond d'angoisse latente,conséquence de leur peur de la maladie,et d'espérance,bien souvent déçue,d'une libération plus que problématique (en fait un véritable chantage). Libération qui est"l'aboutissement des progrès prouvés des prisonniers convertis". Ainsi impose-t-on:la rédaction de "biographies",contrôlés en France par les agents du Parti Communiste;la signature de manifestes lors des diverses "campagnes" aux buts très variés.
L'autocritique est systématique,soit pour les fautes du passé(campagne sur les "atrocités" du Corps Expéditionnaire Français,etc....) soit pour les erreurs du présent(manque d'esprit socialiste,réflexe de l'ancienne classe etc....).
Et puis,mais dans le plus grand secret,est entretenue une délation permanente des fautes des camarades qui, obligatoirement, en commettent et qu'il faut dénoncer lors des meetings d'accusation réciproque.
Raffinement suprême,le prisonnier est inclus dans un groupe appelé souvent "collectif de progrès".Il est partie intégrante du groupe,dont il est responsable quant au progrès dialectique.Le commissaire politique,par exemple,exige la totalité des signatures des membres du groupe,et il maintient ses pressions(réduction des rations alimentaires, suppression des quelques médicaments tels que Nivaquine ou Emétine,etc....), tant qu'il n'a pas obtenu satisfaction.
Au début,certains dans le groupe refusent de signer;mais ils subissent des pressions de ceux qui ont été volontaires pour signer.Ils vont donc se retrouver isolés,en butte aux brimades de leurs camarades et,à la fin,incapables de subir la mise en quarantaine,ils accepteront de signer.
Certains font sourire qui affirment:"moi,je n'aurais pas signé,moi je... ,moi je..."Il n'y a pas d'individualités,pas de héros,il n'y a que de pauvres hommes noyés dans un groupe,groupe qui va les manipuler pour que l'ensemble survive.Cette auto-manipulation est une réussite originale des commissaires politiques.L'individu responsable de ses progrès devant le groupe sera astreint aux auto-critiques pour que l'ensemble du "collectif" progresse lui-même.
Récitations des biographies,études des "bilans de vie" dans une ambiance de délation permanente avec une angoisse astucieusement entretenue ainsi que le complexe de culpabilité.Donc érosion des personnalités,délabrement du "MOI" par des méthodes collectives,par des applications subtiles où le temps ne compte pas pour les Asiatiques.Seuls les buts sont retenus,peu importent les moyens et les délais.
S'il veut la paix ou s'il veut espérer une libération future,le prisonnier doit "jouer le jeu" par réflexe acquis,il doit s'intégrer dans l'organisation définie et s'imprégner de l'idéologie dont l'étude n'est jamais terminée.Sinistre comédie jouée par des pantins qui ne pensent qu'à survivre ,car plus on est affaibli plus on s'accroche à la vie ou à ce qui en reste.Par crainte de la délation,il ne se confiera jamais,même à un camarade;c'est cette solitude morale,même dans un groupe,qui demeure un véritable supplice.Beaucoup n'ont pu y résister et se sont laissés mourir,se liquidant eux-mêmes,étant allergiques à cette société.
Signalons que lorsque l'on est fait prisonnier,on est averti que l'évasion n'est pas un devoir mais un crime,une honte,car on ose ainsi déserter le camp socialiste,le paradis rouge progressiste.Un suicidaire est donc aussi considéré comme un déserteur puisqu'il quitte volontairement la cité radieuse du socialisme en marche!Délit impardonnable.
CONCLUSION
Ce système carcéral,considéré comme l'instrument de la rédemption,de la conversion des prisonniers,est totalement différent des systèmes occidentaux qui visent soit à la neutralisation soit à la liquidation(nazis) des captifs.En pays communiste asiatique,le prisonnier n'est pas neutralisé:il doit devenir,après conversion,un agent actif de l'anti-impérialisme et de l'anti-colonialisme(otage actif). Dans les cas extrêmes,il doit avouer qu'il ne mérite pas la balle qui va l'abattre.Parasite,il ne vaut pas cette cartouche.
Actif ou liquidé,il doit être un agent utile à la propagande du Parti afin d'assurer la victoire de ce dernier.Ce système de maniement humain est peu connu,car les prisonniers libérés étaient avertis que leur comportement après leur libération conditionnait les futures libérations de leurs camarades restés captifs.
Se sentant comptable de cet avenir des camarades,ceux qui étaient libérés demeuraient fort évasifs sur leur condition de détention de captif.Peu nombreux étaient ceux qui avaient compris totalement la méthode et les procédés dont ils avaient été victimes.
Ce système n'est pas surprenant dans le contexte de la guerre révolutionnaire.En effet,cette forme de conflit englobe tous les comportements des activités humaines:cette guerre est une guerre totale.
Fin de citation ------------------
Note de DLP à l'auteur.
NDLR.Nous adressons nos vifs remerciements au Général ABADIE, blessé et fait prisonnier comme lieutenant à Diên Biên Phu le 7 mai 1954, qui nous a autorisé à reproduire cette étude, déjà parue dans le bulletin "qui ose gagne".