David HORNUS : Antoine Carenjot, pouvez-vous nous en dire plus sur vous ?
Antoine CARENJOT : Issu d’une famille d’un village détruit de la Grande Guerre de la Marne, Nauroy, j’ai été élevé dans le respect de la mémoire et avec des valeurs fortes. A l’âge de neuf ans, je trouve un casque Adrian de chasseur à pied, dans une brocante. Dès lors, nait chez le petit garçon que je suis alors le rêve un peu fou d’ouvrir un jour un musée. Guide touristique bénévole à treize ans, j’intègre à l’âge de seize ans l’équipe du musée de la Résistance et de la Déportation de Blois, tout en m’investissant auprès des anciens combattants comme porte-drapeau et délégué responsable d’une amicale d’anciens des troupes de marine. Au cours de mes études d’Histoire et de Sciences Politiques lors desquels je me spécialise sur les parcours individuels et collectifs des combattants de la Grande Guerre, j’intègre la Réserve citoyenne et sert successivement au Musée de la Cavalerie de Saumur puis au 16e BCP de Bitche à compter de 2017. A la fin de mes études, j’ai la chance de faire un stage de sept mois au Musée du Sous-Officier de Saint-Maixent-l’Ecole, qui continue à me former aux différentes techniques de médiation. J’occupe de 2019 à 2022 les fonctions de directeur du service départemental de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerres de la Marne. Après mon départ de cette belle administration, j’ai décidé de donner un nouveau départ à ma vie professionnelle et ai décidé de rendre justice au rêve de ce petit garçon que j’avais été qui voulait ouvrir son musée.
DH : Qu’est ce qui pousse à ouvrir un musée mémoriel privé en 2024 ?
AC : La passion, sans aucun doute ! C’est un pari un peu fou il faut le reconnaître, de se lancer dans une structure privée, en refusant toute subvention afin de conserver notre indépendance. Ce projet a été peuplé d’embuches, très éloignées de mon champ de compétence. Le 7 mai 2023, c’est le coup de cœur, lors de la première visite de la Villa Piquart. Mais c’était était un lieu privé, en faire un espace accessible au public nous obligeait à le mettre aux normes en vigueur. Après la création de notre société avec mes deux associés, nous avons dû trouver un architecte, réaliser un permis de construire et l’obtenir auprès des commissions d’accessibilité et du handicap, des sapeurs-pompiers et de l’architecte des bâtiments de France. Nous avions initialement prévus huit mois de travaux, avec un objectif d’ouverture au 1er juillet 2024. Mais l’achat de la Villa Piquart était suspendu à l’obtention de ce permis de construire. Tout a failli s’arrêter net à deux jours près. Le 12 avril 2024, le permis obtenu, nous signons l’achat de ce lieu unique. Dès lors, le compte à rebours commence, ouverture dans deux mois et demi !
D.H : Et vous y êtes parvenu ?
A.C : Oui, à force d’espoir et d’audace ! Nous avons fait une grosse partie des travaux nous-même, l’expérience d’avoir travaillé sur d’autres chantiers a énormément servi. Nous sommes tombés sur les sociétés et des artisans extraordinaires. Le musée, situé au premier étage de la Villa, devait se doter d’un ascenseur. Grâce à la réactivité des équipes de la société chargée de le construire, il a été mis en service le mercredi pour l’inauguration, qui devait avoir lieu le vendredi ! Les derniers préparatifs, les derniers cartels posés, ont été fixés 45 minutes avant de couper le ruban. Un vrai tour de force… Le 28 juin 2024, à 18H00, le ruban est coupé, ce lieu va pouvoir enfin vivre et accueillir ses visiteurs.
D.H : Vous nous avez parlé de la Villa Piquart, mais pouvez-vous nous en dire plus sur ce lieu où vous avez créé votre musée ?
A.C : La Villa Piquart est la demeure où a vécu de 1905 à 1946 l’architecte Henri Piquart. Auteur de nombreuses réalisations architecturales d’importance à Epernay et dans la Marne, il a également œuvré dans d’autres régions, notamment sur la Villa « La Californie », à Cannes, qui fut la résidence de Pablo Picasso ou dans le protectorat de Tunisie. La Villa Piquart est un hôtel particulier de la Belle Epoque, où il avait mis le meilleur de son art ! Il y a vécu avec sa famille, son épouse et ses quatre enfants, dont un seul garçon, pilote de chasse mort pour la France en 1917. Cette demeure a été occupée par l’armée nazie durant l’occupation, et Henri Piquart, né en 1860, a donc subi trois conflits : la guerre franco-prussienne de 1870-71 et les deux guerres mondiales. Dès lors, ouvrir le musée dans cet endroit chargé d’Histoire semblait une évidence !
D.H : Mais en quoi votre musée diffère des autres musées que nous pouvons découvrir ?
A.C : La particularité du Musée Villa Piquart parcours de guerres est de proposer une muséographie centrée sur les destins de vie de civils et de combattants via les objets leur ayant appartenu. Tous les objets que nous présentons sont nominatifs. Ainsi, nous retraçons notre histoire commune par le biais des trajectoires individuelles de ceux qui ont subi ces conflits. Une manière de ré-humaniser ceux qui ont éprouvé dans leur corps et leur esprit les affres de ces guerres. Dans une présentation épurée, nous abordons des thématiques comme les familles en guerres, l’impact de la guerre sur les corps et sur les objets ou les choix moraux et personnels réalisés par les soldats lors de moments charnières de notre histoire comme la Seconde Guerre Mondiale, l’Indochine ou l’Algérie. Nous présentons sur la saison 2024 des parcours de Français uniquement, mais avons vocation à élargir à d’autres nationalités.
D.H : Sur la saison 2024, cela signifie t-il que vous changerez vos collections ?
A.C : Exactement, c’est l’autre particularité du musée. Dans une structure comme celle-ci, il faut s’adapter et se renouveler, au risque de tomber dans une routine qui est à refuser. Ainsi, nous nous soumettrons chaque année, lors de notre fermeture annuelle, à l’exercice délicat de renouveler à hauteur de 80% les pièces présentées et d’aborder de nouvelles thématiques en lien avec l’année mémorielle. Ainsi, la saison 2024 aborde 1914, avec l’entrée en guerre et la première bataille de la Marne ; 1944 avec la Résistance et la Libération et 1954, avec la fin de la guerre d’Indochine et la bataille de Dien Bien Phu. Après notre réouverture le 15 janvier 2025, les visiteurs pourront découvrir une nouvelle collection autour de nouvelles thématiques : L’année 1915, notamment les offensives de Champagne ; 1925 et la Guerre du Rif ; 1945, la campagne d’Allemagne et la traque des criminels de guerre nazis et 1995, avec l’Ex-Yougoslavie et la bataille de Sarajevo.
D.H : Un sacré défi ! Mais comment évoquer ensemble des sujets aussi différents sans que le visiteur se perde ?
A.C : Nous vivons dans un monde où la guerre est redevenue omniprésente. Dans une société fracturée, le dialogue est souvent compliqué par les différents vecteurs d’information dont nous disposons. Si la guerre est omniprésente et les menaces nombreuses et réelles, la population, notamment les jeunes générations, est souvent perdue, en quête de clés de compréhension, de bornes de repère. C’est ainsi que les jeunes, qui n’ont souvent plus dans leur famille de témoins directes de cette mémoire, s’interrogent sur ce passé et se passionnent pour l’histoire. Le vrai beau constat depuis notre ouverture est que la majorité de nos visiteurs sont des jeunes de 15 à 35 ans ! Dans notre musée, il n’y a pas d’écran, d’audioguides ou de nouvelles technologies, pas de fond musical, juste la rencontre, personnelle et intime, dans le silence de l’esprit, du visiteur et des parcours de nos anciens via un lien matériel, un ou des objets leur ayant appartenu. Et c’est là que la magie opère : l’on peut aborder une infinité de sujets par ce biais parce que ce dont nous parlons n’est plus le conflit en lui-même mais son impact personnel et collectif, donnant la possibilité au visiteur de se resituer lui-même dans le temps et l’espace. Le but assumé est de faire réfléchir, développer l’esprit de raisonnement du visiteur et la curiosité. Nous incitons les visiteurs à ne pas forcément lire tous les parcours mais au contraire de faire fonctionner leurs choix, leurs ressentis, et de découvrir l’histoire derrière les objets qui les intriguent.
D.H : Vous donnez-vous des bornes temporelles tout de même pour les sujets traités ?
A.C : Absolument aucune ! C’est là la force d’un musée comme celui-ci. La seule condition est d’avoir un objet de la personne que nous présentons. Dans un musée d’historien, collectionneur et passionné, il faut se faire plaisir et explorer le vaste champ des possibles. Je suis actuellement en train de récupérer des pièces antérieures à 1870, jusqu’à l’Ancien Régime. Nous accueillons également des dépôts de familles et d’autres collectionneurs, afin de présenter une diversité de parcours de vie et sur de nombreux conflits sur une saison. Ainsi, en 2025, nous aborderons dans une vitrine la guerre de Crimée et l’année 1855, qui renverra à l’actualité et la guerre en Ukraine.
D.H : Cette année, la guerre d’Indochine est particulièrement à l’honneur, pouvez-vous nous en dire plus ?
A.C : En effet, nous abordons notamment au cours de cette saison la bataille de Dien Bien Phu et ses combattants. Nous traitons le baptême du feu du sous-lieutenant Jean Bréchignac en 1940, dont nous présentons le manteau du 11e régiment de tirailleurs algériens, et bien évidemment son parcours par la suite en Indochine, notamment à la tête du 2/1er RCP lors de la bataille de Dien Bien Phu et du 9e RCP en Algérie. Le 1er RCP est également à l’honneur par le biais d’une vitrine consacrée à René Leguéré, figure inoubliable immortalisé par l’excellente biographie que lui a consacré Georges Fleury dans son ouvrage, « Le Para ». Dans la salle « Pères et fils », une vitrine est consacrée au sous-lieutenant Jean-Claude Thélot, du 5e bataillon de parachutistes vietnamiens, le célèbre 5e Bawouan, mort pour la France le 30 mars 1954 à Dien Bien Phu. Son père, Maître André Thélot, vétéran de la Grande Guerre, pilote de chasse dans l’escadrille de Charles Nungesser, avait survécu à un duel aérien avec le « Baron rouge », Manfred Von Richthofen. Devenu commissaire priseur, il réunira une impressionnante collection de souvenirs militaires du Premier Empire, de la Restauration et du Second Empire, dont il était l’un des collectionneurs emblématiques du XXe siècle. Après la mort de son fils à Dien Bien Phu, il avait consacré dans sa collection un mausolée présentant les reliques de son fils, quelques objets revenus de Hanoi après la mort de Jean-Claude Thélot, seuls liens avec ce fils disparu, son corps ayant disparu à Dien Bien Phu. Il a poursuivi un travail de recherche afin de savoir qui était son fils au feu jusqu’au sacrifice suprême. Au soir de sa vie, maitre André Thélot avait confié les objets de son fils au Colonel Jacques Allaire, qui nous les a lui-même donné en 2010 afin de poursuivre le travail de recherche d’André Thélot. Dans l’Histoire, rien n’est figé et il faut creuser, chercher et surtout « Croire et Oser ! »
Informations pratiques
Musée Villa Piquart parcours de guerres – 43, avenue Paul Chandon 51200 EPERNAY
Contact : 06.95.91.90.08 / contact@museevillapiquart.com
Ouvert tous les jours sauf le lundi de 9H00 à 18H30
Fermeture annuelle du 15 décembre au 15 janvier
Plein Tarif : 8 euros
Tarif réduit (anciens combattants, militaires, gendarmes, policiers, pompiers, pupilles de la Nation, porte-drapeaux, personnes à mobilité réduite, enseignants, étudiants – sur présentation d’un justificatif ) : 6 euros
Enfants de six à dix-huit ans : 5 euros
Enfants de moins de six ans : Gratuit
Tarif scolaires (pour une classe, un professeur et un accompagnateur – jusqu’à 35 personnes) : 150 euros
Visites guidées sur réservation