Sur les traces de son père mort, en Indochine
J'avais un an quand mon père est mort. Sous-lieutenant, militaire de carrière, il est tombé dans une embuscade le 14 mai 1949 au Tonkin, dans le nord du Vietnam actuel, trois mois après son arrivée en Indochine. De lui, je n'avais qu'une photo et le texte de sa citation à l'Ordre de l'armée, qui expliquait que mon père, Jean-Claude Laurenceau, était mort en héros en convoyant des blessés. Atteint une première fois par un éclat de bombe piégée et ensuite par une rafale d'arme automatique, il a donné ses ordres jusqu'au bout. Enfant, j'étais partagé entre une grande fierté et une souffrance profonde. Ma culture s'est faite autour de ce drame. Déjà, je m'étais promis qu'un jour j'irai me recueillir sur la tombe de mon père.
Mais personne ne savait où il était enterré. J'ai remué ciel et terre pendant des années pour avoir des informations. J'ai écrit à des officiers qui l'avaient connu, au ministère. Je suis allé fouiller au service historique de la Défense dans des tonnes d'archives. En vain. Impossible de retrouver le journal de marche de son bataillon, où étaient inscrits les circonstances de sa mort et surtout le lieu où reposait sa dépouille.
Le lieu de l'embuscade
Je commençais à être assez désespéré. C'est alors que j'ai fait la connaissance de Loïc-René Vilbert, le bibliothécaire municipal. Il m'a beaucoup aidé. Nous avons retrouvé des cartes, des lieux. Il m'a surtout encouragé à aller au Vietnam pour retrouver les derniers endroits où était passé mon père. Je savais deux choses : que mon père était parti de Pho Rang et que l'embuscade avait eu lieu près du village de Lan G Ma, près de la frontière chinoise.
Recueillement
Je suis arrivé au Vietnam début mai. Avec un guide francophone, je suis allé à Lan G Ma. Après des heures de marche, nous sommes arrivés au village. Les gens m'ont fait un accueil très chaleureux. De mon côté, je n'avais aucun ressentiment envers les Vietnamiens. J'avais l'esprit ouvert. J'ai pu rencontrer le comité populaire du village (le Vietnam est encore un pays communiste), composé d'anciens dont certains s'étaient battus contre les Américains. Mais aucun n'avait connu les combats contre les Français. Ils m'ont appris qu'il y avait un cimetière à côté où la tradition orale disait qu'étaient enterrés quatre militaires français. Imaginez mon émotion.
Tout le village m'a accompagné. Nous sommes allés dans un bois avec une clairière grande comme deux terrains de tennis. Rien à voir avec nos cimetières militaires de Normandie ou de Verdun. Pas de croix ou de pierre tombales, aucune inscription. Seulement quelques briques délimitaient les tombes. Ce n'était pas sûr que mon père reposait là. Je me suis recueilli devant une des tombes comme je l'aurais fait devant le soldat inconnu. J'ai dit aux villageois que je voulais faire brûler de l'encens. Ils ont compris et m'ont laissé seul. C'était un moment très intense. Je suis ensuite allé à Pho Rang. J'y ai retrouvé un petit fortin. C'est le dernier endroit où on est sûr que mon père était avant sa mort. J'y ai brûlé une bougie.
Voilà. Je n'ai pas trouvé la tombe de mon père, mais ce n'est pas un échec. J'ai pu enfin faire mon deuil en allant sur les traces de mon père. Je me suis recueilli sur des endroits où il est passé. J'ai fait ça aussi pour mes trois fils et mes petits enfants. Comme un recueillement collectif pour les Laurenceau. Depuis mon retour, je suis apaisé.
Mais personne ne savait où il était enterré. J'ai remué ciel et terre pendant des années pour avoir des informations. J'ai écrit à des officiers qui l'avaient connu, au ministère. Je suis allé fouiller au service historique de la Défense dans des tonnes d'archives. En vain. Impossible de retrouver le journal de marche de son bataillon, où étaient inscrits les circonstances de sa mort et surtout le lieu où reposait sa dépouille.
Le lieu de l'embuscade
Je commençais à être assez désespéré. C'est alors que j'ai fait la connaissance de Loïc-René Vilbert, le bibliothécaire municipal. Il m'a beaucoup aidé. Nous avons retrouvé des cartes, des lieux. Il m'a surtout encouragé à aller au Vietnam pour retrouver les derniers endroits où était passé mon père. Je savais deux choses : que mon père était parti de Pho Rang et que l'embuscade avait eu lieu près du village de Lan G Ma, près de la frontière chinoise.
Recueillement
Je suis arrivé au Vietnam début mai. Avec un guide francophone, je suis allé à Lan G Ma. Après des heures de marche, nous sommes arrivés au village. Les gens m'ont fait un accueil très chaleureux. De mon côté, je n'avais aucun ressentiment envers les Vietnamiens. J'avais l'esprit ouvert. J'ai pu rencontrer le comité populaire du village (le Vietnam est encore un pays communiste), composé d'anciens dont certains s'étaient battus contre les Américains. Mais aucun n'avait connu les combats contre les Français. Ils m'ont appris qu'il y avait un cimetière à côté où la tradition orale disait qu'étaient enterrés quatre militaires français. Imaginez mon émotion.
Tout le village m'a accompagné. Nous sommes allés dans un bois avec une clairière grande comme deux terrains de tennis. Rien à voir avec nos cimetières militaires de Normandie ou de Verdun. Pas de croix ou de pierre tombales, aucune inscription. Seulement quelques briques délimitaient les tombes. Ce n'était pas sûr que mon père reposait là. Je me suis recueilli devant une des tombes comme je l'aurais fait devant le soldat inconnu. J'ai dit aux villageois que je voulais faire brûler de l'encens. Ils ont compris et m'ont laissé seul. C'était un moment très intense. Je suis ensuite allé à Pho Rang. J'y ai retrouvé un petit fortin. C'est le dernier endroit où on est sûr que mon père était avant sa mort. J'y ai brûlé une bougie.
Voilà. Je n'ai pas trouvé la tombe de mon père, mais ce n'est pas un échec. J'ai pu enfin faire mon deuil en allant sur les traces de mon père. Je me suis recueilli sur des endroits où il est passé. J'ai fait ça aussi pour mes trois fils et mes petits enfants. Comme un recueillement collectif pour les Laurenceau. Depuis mon retour, je suis apaisé.
Recueilli par Jean-Valéry HÉQUETTE.
Ouest-France