Jules-André Peugeot est né à Étupes, dans le Doubs, le 11 juin 1893. Issu d'un milieu modeste, il se destinait à la carrière d'instituteur, lorsqu'il partit faire son service militaire, au 44e R.I. de Lons-le-Saunier.
A l'été 1914, il est caporal (depuis le mois d'avril) et prépare le concours des officiers de réserve. Son régiment faisant partie des troupes de couverture, il a pour mission de surveiller la frontière franco-allemande, en cas de tension entre les deux pays.
Fin juillet, à la suite d'une rapide escalade enclenchée à la suite de l'assassinat de l'archiduc d'Autriche François-Ferdinand le 28 juin précédent, celle-ci est à son comble. Le 30 juillet, pour tenter d'apaiser le gouvernement allemand, la France décide de reculer d'une dizaine de kilomètres ses troupes placées sur la frontière. C'est ainsi que les postes du 44e R.I. installés en avant de Delle, aux confins de la Suisse, du Reich allemand et de la France, doivent se replier sur Delle et Grandvillars.
Jules-André Peugeot, qui commande une escouade de la 6e compagnie du 2e bataillon, suit le mouvement général avec ses hommes, pour venir prendre position dans le village de Joncherey (au sud-est du Territoire de Belfort, 3 kilomètres au nord de Delle). A la sortie sud-est du bourg, il a pour mission de surveiller la route de Faverois. Son poste est installé près de la ferme de la famille Docourt, à 500 mètres du bourg dans lequel stationne un escadron du 11e Dragons. Il est couvert par une sentinelle postée 40 mètres plus loin.
Le dimanche 2 août, premier jour de la mobilisation générale, prévue pour midi, la guerre n'est pas encore déclarée mais chacun reste sur ses gardes. Peu avant 10 heures ce matin-là, la fille des Docourt, âgée de 9 ans, vient signaler au caporal Peugeot, qui est en train de se laver les mains avant de se mettre à table (on vient juste d'apporter la soupe pour son escouade), qu'elle vient d'apercevoir des cavaliers "prussiens" en allant chercher de l'eau à la source voisine. De toute évidence, ce détachement de huit hommes du 5e Chasseurs à Cheval de Mulhouse, qui progresse vers Jocherey en venant de Faverois a violé la frontière française et, profitant de la zone récemment laissée libre de troupes, il poursuit une mission d'exploration en profondeur. C'est le sous-lieutenant (leutnant) Camille Mayer qui le commande. Ce jeune officier (il a tout juste vingt ans) est originaire d'Illfurth, au sud de Mulhouse, à une trentaine de kilomètres de là. Il connaît bien la région.
Peugeot se porte au devant des cavaliers allemands qui viennent de bousculer la sentinelle (un coup de sabre entaille sa capote et entame son ceinturon). Il prononce les sommations d'usage. En guise de réponse, Mayer sort son revolver et tire trois fois dans sa direction. La deuxième balle blesse grièvement le caporal, atteint à l'épaule droite (le projectile ressort par la gauche). Les deux autres se perdent. Avant de s'effondrer, le Français a le temps d'épauler son fusil et de faire feu sur Mayer. L'officier est mortellement blessé d'une balle au ventre. Une autre balle, tirée par l'un des hommes de Peugeot, l'atteint à la tête et l'achève.
Retournant sur ses pas, Peugeot s'affaisse devant la maison des Docourt, où il rend l'âme dans l'instant. Il est 10 heures 07. Des dragons, alertés par les détonations, arrivent sur place. Trop tard. Le drame est consommé.
Privés de chef, les chasseurs à cheval tournent bride et abandonnent le terrain. Trois chevaux sont blessés et leurs cavaliers désarçonnés. Deux d'entre eux sont capturés dans l'après-midi : l'un par un habitant de Joncherey et l'autre par des dragons. Le troisième le sera deux jours plus tard. Le reste de la patrouille est pris en chasse par un peloton du 11e Dragons, mais il parvient à rentrer sans encombre en territoire allemand.
Le corps du caporal est ramassé par ses quatre hommes, qui le ramènent en arrière et l'allongent sur la paille d'un hangar, à côté du cadavre de Mayer. Il est rendu à sa famille le 3 août, puis inhumé à Étupes (à une quinzaine de kilomètres de Joncherey seulement ) le mardi 4, avec les honneurs militaires et en présence d'une foule considérable et émue. C'est qu'en plus de l'enfant du pays, elle pleure le premier mort militaire français de ce qui allait devenir la Grande Guerre.
L'officier allemand est enterré le 3 août, aux frais des officiers du 44e R.I., qui tiennent par ce geste à rendre hommage à leur ennemi.
Le lendemain, l'Allemagne notifie à la France sa déclaration de guerre...
Le 3 décembre 1915 (!), le caporal Peugeot est cité à l'ordre du régiment, avec la citation suivante : "Peugeot, Jules-André, caporal à la 6e compagnie. Le 2 août 1914, son escouade de garde à l'issue du village de Joncherey, a arrêté et dispersé la première patrouille qui violait le territoire français. A été tué par le lieutenant commandant cette patrouille au moment où il mettait en joue lui-même cet officier et le blessait mortellement".
Que reste-t-il de cet accrochage meurtrier, préliminaire à la grande tuerie ? Quelques reliques tout d'abord, comme le casque du lieutenant Mayer, trophée ramassé par les hommes du caporal Peugeot et aujourd'hui conservé au Musée de l'Armée à Paris.
Un monument ensuite, inauguré par le président Poincaré à Joncherey en 1922, puis détruit en juillet 1940 par Allemands, pour être enfin reconstruit en 1959.
Un souvenir en forme de symbole enfin, que tous les textes consacrés aux premiers jours de la guerre rappellent d'une ligne...
Source : http://www.grande-guerre.org/Biographies/peugeot.htm